La construction navale : moteur de l’essor d’une civilisation



Si de nos jours la conquête spatiale est un indicateur de puissance d’un Etat, il s’agissait jadis de la conquête maritime, la puissance navale était en effet un facteur de développement d’un Etat ou d’un empire. Le rapport à la mer et aux océans a permis à plusieurs civilisations de se développer, grâce aux innovations de la construction navale, bien au-delà des frontières terrestres.

La proximité avec la mer est un cadeau géographique qui a brisé l’isolement de certains peuples dès lors qu’une flotte était créée. En revanche, certaines civilisations peu portées sur la mer sont longtemps restées éloignées des autres populations et n’entretenaient que très peu de relations, comme les Aborigènes d’Australie ou bien les habitants de l’Amérique car personne ne soupçonnait l’existence de ce continent, de même pendant près de 6 000 ans, la moitié sud du continent africain fut coupée du monde par le Sahara. Seules l’Europe et l’Asie procédaient à des échanges mais cela se limitait à de rares voyages.

Quand tu veux construire un bateau, ne commence pas par rassembler du bois, couper des planches et distribuer du travail mais réveille au sein des hommes le désir de la mer grande et belle

Antoine de Saint-Exupéry 

Les premiers explorateurs qui utilisèrent les voies maritimes avaient besoin de navires suffisamment solides pour résister aux tempêtes et braver les vents violents. C’est pour cette raison que certaines civilisations purent découvrir d’autres terres, les Vikings ont ainsi pu connaitre l’Amérique, qu’ils appelaient alors le Vinland, avant les Espagnols et les Portugais, notamment grâce à des techniques de construction navale pointues qui donnèrent naissance aux fameux drakkars, des bateaux agiles et robustes à la fois, aptes à affronter les flots sur des longues distances.

La construction navale fut donc un élément nécessaire pour le développement d’un pays côtier. Ce processus de conception et d’assemblage d’un navire ou d’un bateau était le préalable indispensable aux conquêtes et aux expéditions maritimes et surtout était le préalable au développement des connaissances géographiques avérées.

A titre d’exemple, Ptolémée, astronome Égyptien qui vécut au IIème siècle après J.C. reconnu comme le plus grand géographe de l’antiquité, pensait qu’il était impossible de faire le tour de l’Afrique.

Ce ne fut que bien plus tard que le marin Bartholomé Dias mit un terme à cette croyance infondée, en menant son expédition autour de l’Afrique en dépassant le cap de Bonne Espérance. En somme, le pragmatisme de Dias avait balayé l’idée de Ptolémée.

Toutefois, la construction navale ancienne a laissé très peu de documentation précise sur les techniques employées. La lecture des archives, l’étude des anciens sites marins, l’analyse des outils, l’archéologie navale, etc. sont autant de moyens contemporains utilisés pour redécouvrir ces techniques passées et ainsi mieux comprendre l’évolution des navires et des peuples d’abord à l’époque de la Grèce Antique et de Carthage puis au temps des Vikings et enfin au XVIème siècle.

La construction navale durant l’Antiquité

C’est en Grèce antique, à partir du VIIIsiècle av. J.-C, que la construction navale est devenue progressivement un élément majeur du développement et du rayonnement de la culture grecque, permettant échanges commerciaux, conquêtes et défense, notamment lors de la bataille navale de Salamine face à l’Empire perse. La marine marchande et la marine militaire disposaient d’une flotte considérable pour l’époque, issue d’ateliers de fabrications.

Les bateaux les plus utilisés étaient les trières. Des lourds bateaux dont les rames dépassaient 3 mètres et étaient particulièrement adaptés aux courants de la mer Égée. Ils étaient également capables de naviguer jusqu’en mer Noire à l’aide d’un équipage de rameurs, composé de « thètes », des citoyens pauvres, postés en trois rangs et qui suivent la cadence d’un flûtiste en ramant collectivement, en échange d’un maigre salaire quotidien.

Les trières appartenaient à l’Etat et étaient équipées par de riches armateurs puis entretenues par les citoyens les plus fortunés, eux-mêmes désignés par les stratèges.

Ces bateaux étaient souvent bâtis au port du Pirée où de riches athéniens, chargés par les stratèges de l’entretien d’une trière, venaient suivre les chantiers. Détail important, à cette époque, la flotte n’attaque pas si les dieux ne sont pas favorables, en particulier Poséidon, le dieu des océans. Superstitieux, les grecs décoraient donc la proue de leurs navires pour conjurer le mauvais sort en mer, avec des peintures qui représentaient des yeux magiques ou bien en posant une statue d’un bélier pour garnir l’éperon d’un navire. 

La construction navale a également joué un rôle majeur dans le développement et le maintien de la civilisation carthaginoise, de 814 av. J-C à 146 av. J-C. Le pouvoir authentique de Carthage se trouvait en mer, sa marine était la plus puissante du monde connu de l’époque. Hérodote, le célèbre historien, évoquait lui-même la force des marins carthaginois. Parmi eux, un navigateur, portant le nom de Hannon, aurait ainsi lancé une expédition navale de la côte ouest de l’Afrique qui aurait pu atteindre le sud de l’actuel Gabon, tandis qu’un autre explorateur de Carthage, Himilcon est le premier navigateur à atteindre les côtes du nord-ouest de l’Europe en partant de la mer Méditerranée. Ces exploits, ils les doivent à des bateaux très efficaces.

La flotte carthaginoise était en effet redoutée en raison de son principal navire de combat, la quinquérème.  Ce bateau avait des caractéristiques particulières afin de répondre aux exigences commerciales de cette époque, disposant d’un unique mât (pour gagner en place) fixé sur un ensemble de planches extrêmement serrées, d’une grande capacité de chargement avec un maitre-bau pouvant dépasser 6 mètres, un revêtement externe de planches de plomb, d’une poupe arrondie avec un timon à sa gauche et d’une proue qui terminait par un aplustre (une frise qui représentait la tête d’un cheval afin de provoquer un sentiment de peur chez l’ennemi en cas de combat). La structure de ces bateaux était assez semblable aux bateaux de pêche des pays méditerranéens contemporains, ils étaient construits avec des pièces de bois préfabriqués séparément puis montées au fur et à mesure. 

La construction navale au temps des Vikings

Les Vikings sont des explorateurs scandinaves, principalement actifs du VIIIème siècle jusqu’au Xième siècle ap. J-C À la fois guerriers et commerçants, ils se livrèrent à des découvertes, des pillages et des installations de longue durée (au Vinland, en Normandie, en Sicile etc.). Ils avaient la particularité de se déplacer non pas à dos de cheval en passant par les terres mais par bateaux en passant par les mers, les fleuves et les rivières, surprenant ainsi leurs ennemis.

Les voyages des Vikings ne devaient rien au hasard mais résultaient d’un savoir-faire exceptionnel en construction navale.

Ils avaient conçu un bateau sophistiqué : le drakkar. Né d’une maitrise très élaborée de la navigation et utilisé pour partir en guerre ou pour le transport de marchandises (armes, aliments etc.) mais dont l’usage s’est perdu avec l’avancée des technologies. C’est l’analyse de nombreuses épaves de drakkars ainsi que des représentations sur des pièces, des enluminures, des sceaux et la fameuse tapisserie de Bayeux qui permettent de déterminer avec davantage de précisions les étapes de la construction d’un drakkar.

Les Vikings utilisaient deux types de drakkars, les kaupskip et les langskip. Si les premiers sont des navires de commerce disposant d’un équipage réduit, les seconds n’ont pas de place pour le stockage des marchandises et se déplacent avec un important équipage de rameurs, en mesure de traverser l’Atlantique nord et d’affronter les pires conditions météorologiques. Etant précisé que les Vikings basaient leur savoir sur une approche sensorielle et savaient lire la nature pour assurer une navigation précise,en observant la succession des nuages, la direction des vents et des vagues, la couleur de l’eau, le passage des oiseaux etc.

L’extension de la culture Viking était donc étroitement liée à leur ingéniosité navale et plus précisément à leur incroyable invention du Drakkar, rarement égalée en Europe.

La construction navale au XVIème siècle


Les Arabes dominaient l’océan indien mais leurs bateaux, dénommés boutres et gouvernés par un aviron, tenaient difficilement le cap. Construits avec des planches assemblées par des chevilles de bois et des cordes en fibre, ils étaient vulnérables en haute mer, à l’inverse les jonques chinoises couvraient de longues distances mais ne pouvaient résister aux tempêtes.

Au XVIème siècle, bien peu de navires étaient en capacité d’effectuer un long voyage sur l’océan.

Les navires marchands de l’Europe du nord étaient beaucoup trop lourds et beaucoup trop lents. Leur voile carrée les empêchait de remonter au vent. Au milieu du XVème siècle, les Portugais construisirent un nouveau type de navire, la caravelle, petite et légère, armée d’une voile triangulaire, elle pouvait naviguer au plus près.

A la fin du XVème siècle, apparut également un nouveau navire plus grand : la caraque, un bateau équipé de vastes cales et de voiles carrées et latines triangulaires. À partir de l’année 1500, tous les navires européens disposaient de cette voilure mixte qui les rendait plus manœuvrables. Entièrement faits de bois, les bateaux en exigeaient une grande quantité.

Au début du XVIème siècle en Europe, il fallait près de deux mille tonnes de bois de charpente, soit environ 2000 chênes pour bâtir un grand vaisseau de guerre.

Le bois qui convenait le mieux était celui du chêne, bien que sa croissante fut très lente. On établissait les chantiers à côté de la mer et si possible en même temps près d’une forêt.

Les charpentiers de navire étaient alors chargés de choisir les arbres à abattre. Pour les mâts, il fallait des arbres très droits et très hauts et on les réservait souvent des mois ou des années à l’avance en les marquant d’un signe. Les forgerons fabriquaient clous et boulons sur place tandis que les ouvriers tressaient câbles et cordages avec du chanvre. On commandait les canons et les ancres du navire à la plus proche fonderie.

Le fait qu’on ne pouvait pas connaitre le poids d’un navire avant qu’il ne soit terminé posait un problème.

Les charpentiers de marine commençaient par exécuter un modèle. Ils dessinaient aussi quelquefois un plan puis allaient dans la forêt couper le bois nécessaire.

La construction du bateau se faisait suivant un cadre précis qui démarrait d’abord par la construction de la coque, c’est-à-dire la mise en place de la quille et la fixation de l’étrave. L’épine dorsale du navire était la quille que l’on posait sur des blocs de bois ; sur l’avant et l’arrière de cette quille, l’étrave et l’étambot étaient fixés. Les varangues étaient posées transversalement à la quille à l’aide d’énormes chevilles de bois ou de fer qui traversaient les varangues. Des barrots étaient posés transversalement entre les membrures et étaient fixés sur l’extérieur de la coque, le pont posé et les superstructures dressées à l’arrière et à l’avant. Les éléments voisins se chevauchaient pour assurer un assemblage solide. Pour réaliser les parties incurvées du navire, les charpentiers de marine recherchaient les pièces de bois naturellement courbes.

Parmi les outils utilisés par les différents intervenants : l’herminette, les tarières, la chignole, le vilebrequin, le marteau et le ciseau à bois. 

Pour faciliter le travail, on dressait un échafaudage autour de la coque. Les bordages étaient ensuite fixés aux membrures, intérieurement et extérieurement. Ces bordages, qui devaient s’incurver pour courir de l’étrave à l’étambot, pouvaient avoir jusqu’à 15 centimètres d’épaisseur.

L’épaisseur totale des murailles d’un navire pouvait atteindre plus de cinquante centimètres.

Les bordages étaient fixés à l’extérieur de la coque par des chevilles de bois dans lesquelles on enfonçait des coins de bois pour les assujettir. De l’étoupe noire, constituée de restes de vieux cordages goudronnés, était enfoncée au marteau dans les coutures des bordages pour les empêcher de prendre l’eau. Les coutures et l’extérieur de la coque étaient enfin recouverts de brai chaud. Ce procédé rendait la coque étanche mais n’empêchait pas, après quelques semaines passées en mer, que les membrures soient mangées par des vers appelés des tarets. Ce n’est qu’après le calfatage des coutures que la coque était enfin prête au lancement. On ne dressait les mâts que lorsque la coque flottait et c’était l’étape finale. La coque une fois terminée, était mise à flot, travail difficile que l’on exécutait à l’aide de treuils et de leviers.

Enfin, avant de hisser les voiles, il fallait lester la coque avec du gravier pour la rendre stable et l’empêcher de se retourner. Une fois les voiles mises, le navire était en effet très lourd. Certains navires étaient également magnifiquement décorés de figures de bois doré à la feuille et de panneaux sculptés pour ajouter de la splendeur à ces impressionnants bâtiments.

En définitive, l’amélioration progressive des techniques de construction navale a permis aux sociétés qui disposaient d’une flotte de se développer elles-mêmes et de participer grandement à l’essor de leur civilisation.

Références

Atlas illustré des grandes Découvertes – éditions Fernand Nathan
Au temps de la Grèce ancienne – Pierre Miquel
L’Aventure des Normands – François Neveux
La Mer–les exploits de l’impossible – PARIS MATCH de Joëlle Kurbiel
Les Explorateurs-Les héros du passé – éditions PML

Avec l’aimable contribution de Simon COYAC, Sauveteur en mer

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