De la liberté en mer

Si l’espace océanique renvoie à la notion de liberté, les volontés d’acquisition de l’espace maritime ont toujours été l’objet de nombreuses convoitises et donc d’importants conflits car c’est l’idée même de liberté qu’il s’agit de restreindre ou d’obtenir. Face à l’éternel désir humain de s’approprier les océans qui revient à vouloir s’approprier la liberté des autres, le droit maritime s’est érigé comme un rempart servant de garant des équilibres pour le bien commun.

Le principal adversaire de l’homme est le temps, la limitation du temps de vie le pousse à opérer des choix, à concevoir son existence et à se projeter après sa mort, à imaginer un autre environnement que celui qu’il connait. Le défi de l’homme face au temps stimule donc son instinct de survie. Par plaisir et par souci du court terme, c’est le choix de la jouissance immédiate qui prime mais en se positionnant sur le long terme, c’est en effectuant les plus hautes actions pendant son vivant que l’homme laisse sa trace dans le temps.

Liberté et identité

Agir, intellectuellement et physiquement, revient à survivre face au temps et avoir la capacité d’agir et de penser, c’est être libre. Toutefois, la liberté d’agir demeure systématiquement modérée par les divers codes moraux imposés par une collectivité à laquelle l’homme appartient naturellement mais dans un océan, les codes d’une collectivité disparaissent à la mesure de son immensité, l’homme se retrouve seul face à la nature, obligé d’agir pour exister, son identité laisse place à ses capacités.

L’identité renvoie de manière permanente à la conscience de soi qu’à l’individu, elle est un facteur de stabilité et un repère incontournable dans la conduite de son existence dans la société environnante et surtout dans ses rapports à autrui . L’expérience quotidienne nous place en présence d’autrui et en somme, si être dépourvu d’une identité revient à être orphelin d’une certaine liberté, à l’inverse être enfermé dans une définition tend à restreindre sa liberté.

Le rapport à la mer gomme la notion d’identité et apporte de multiples réponses métaphysiques sur la liberté. Car la mer donne un sentiment de force, elle procure un extraordinaire espace d’aventures et de découvertes et offre la capacité d’affronter la nature donc une certaine transcendance qui permet de dépasser ses peurs et les limites imposées par une collectivité. 

Envoûtant et apprécié ou effrayant et redouté pour ses colères subites et violentes, l’océan reste perçu comme l’occasion de tous les dangers. Mais l’espace océanique dont l’unité géophysique renvoie à la notion de liberté, se heurte à des questions juridiques d’une gouvernance internationale.

De la liberté de la mer

Les mers et les océans sont par essence des espaces physiques complexes et variés, caractérisés par leur étendue. Les océans représentent une surface de plus de 360 millions de kilomètres carrés, soit environ 72% de la surface terrestre. Chaque année, les Nations Unies célèbrent à la date du 8 juin la Journée mondiale de l’océan pour rappeler l’importance des océans dans notre vie quotidienne.

Les océans procurent des ressources naturelles essentielles pour les êtres humains mais ils servent aussi au transport, à l’aventure, à la découverte et au commerce (la mer est depuis toujours un espace de rencontre permettant la réalisation du commerce entre les hommes). 

Juridiquement, le droit de la mer s’est construit principalement autour de la notion de liberté.

Les océans ayant longtemps été soumis à la doctrine de la liberté de la mer qui limitait les droits nationaux sur les océans à une bande étroite entourant le littoral d’un pays. Le reste des océans était déclaré libre pour tous car n’appartenant à personne. Cette situation a existé jusqu’au XXe siècle, période au cours de laquelle des revendications nationales sur les ressources extra-côtières sont apparues.

Aux revendications étatiques

Une distinction s’opère entre la zone côtière et la haute mer. Cette dernière comprend les parties des mers et des océans qui ne sont pas soumises à la juridiction des États côtiers.

Sur ce qu’il est convenu d’appeler la haute mer, les libertés de la mer sont reconnues à tous car elle n’est en effet soumise à aucune souveraineté et elle doit être considérée comme res communis, ce qui signifie une « chose commune » à tous les pays (qu’ils soient ou non côtiers).

Par conséquent, sous réserve de tenir raisonnablement compte de l’intérêt que la haute mer présente pour les autres, chaque État bénéficie de diverses libertés notamment concernant la navigation, la pêche, etc. 

Cependant, l’espace supportant ces libertés s’est trouvé rétréci au cours du XXe siècle par les États qui n’ont pas résisté à la tentation d’étendre leur emprise sur des parties de l’espace maritime, en raison notamment de l’épuisement des richesses fossiles. Des zones nouvelles sont ainsi apparues, tant en surface que sur les fonds, suscitant de nouvelles limites et faisant craindre une remise en cause de la liberté qui profite aux marins. Bien que parfaitement justifiées, ces réglementations sont autant d’atteintes au principe classique de liberté.

Le débat doctrinal est d’ailleurs ancien puisque l’ancien juriste pour la Compagnie hollandaise des Indes orientales, Grotius, défendit dans son ouvrage « Mare liberum » le principe d’une liberté générale de la merjusque dans les approches terrestres’.

A l’inverse, dans son traité « Mare clausum » publié en 1635, le juriste anglais John Selden évoquait la notion de British Seas ou Oceanus Britannicus : sorte de royaume maritime britannique portant sur une grande partie de la mer. Enfin la même année, le Portugais Serafim de Freitas publia un ouvrage dans lequel il s’opposa au principe de liberté des mers. Il entendait que le roi du Portugal ait l’entier contrôle de l’océan Indien en sa qualité de « Seigneur de la navigation ».

En somme, les volontés d’acquisition de l’espace maritime ne sont pas récentes et ont toujours été l’objet de nombreuses convoitises et donc d’importants conflits car c’est l’idée même de liberté qu’il s’agit de restreindre ou d’obtenir.

Un cadre juridique international

Un cadre juridique international devenant impératif, l’ONU a facilité les efforts internationaux qui ont abouti à la conclusion d’un traité international unique pouvant régir toutes les affaires maritimes.

Les États se sont alors dotés d’une convention internationale précisant leurs droits, dans les divers espaces maritimes : il s’agit de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer dont le champ d’application est vaste et défini différentes zones sur lesquelles les États exercent leur souveraineté : 

  • Les eaux intérieures
  • La mer territoriale : les États côtiers jouissent d’une souveraineté sur leur mer territoriale, qui s’étend jusqu’à 12 milles marins du littoral. Les navires de tous les pays bénéficient d’un droit de passage inoffensif sur cet espace
  • La zone économique exclusive : les États côtiers jouissent, dans cette zone de 200 milles marins, de droits souverains sur les ressources naturelles et sur certaines activités économiques. Les États côtiers ont juridiction pour explorer et exploiter ses ressources.

La notion de mer « territoriale » ou « des eaux territoriales » renvoie à la notion de « territoire » auquel on associe automatiquement celles de limites et de frontières. Un territoire étant par définition, un espace donné à un territoire dominé  or, l’existence d’un territoire suppose l’exercice d’une autorité ou, a minima, l’appropriation de cet espace par une communauté (économique, politique, voire symbolique).

Si l’on tente d’appliquer aux espaces maritimes le concept de «territorialisation», on peut dés lors redouter un réel mouvement d’appropriation des mers et des océans au détriment du principe de liberté.

Ceci d’autant que désormais, les constructions en mer permettent l’exploitation pétrolière ou gazière à plus de trois mille mètres de profondeur, ce qui stimule parmi certains pays, l’ambition d’une autonomie sur le plan énergétique. 

Le développement des nouvelles technologies entraîne souvent une redéfinition juridique et la liberté en mer -déjà limitée- peut l’être encore un peu plus, dans le cadre d’un contrôle étatique plus poussé sur les espaces maritimes recouvrant les zones pétrolifères ou gazières.

Sur ce point, l’article 76 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer dispose que le plateau continental d’un État côtier comprend les fonds marins et leur sous-sol au-delà de sa mer territoriale, sur toute l’étendue du prolongement de la masse terrestre de cet État jusqu’au rebord externe de la marge continentale.

L’État côtier dispose seulement sur son « territoire maritime » de droits souverains à vocation économique. La liberté d’un Etat freine alors la liberté des autres sur cet espace défini.

La question des frontières implique par ailleurs que l’espace maritime dispose de frontières bien précises or, en mer on ne peut pas réellement parler de frontières car la mer est elle-même une rupture entre la terre et la mer.

De fait, les compétences de l’État côtier en mer sont à géométrie variable et bien souvent conditionnées par le respect des droits des États tiers.

Avec l’aimable contribution de Simon COYAC, Sauveteur en mer

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