Monstres et créatures des mers

Les légendes autour de la mer comprenaient jadis, systématiquement des monstres imaginaires ou supposés. Ce qui est (était) inconnu, étant souvent sujet à bien des interprétations personnelles. Les conteurs, diseurs et raconteurs rajoutant durant des siècles, des parts de récits transformés, personnalisés et souvent exagérés, contribuant ainsi à susciter soit la peur, soit la curiosité au sein du grand public.

Ne dédaigne aucun homme et ne méprise aucune chose car il n’y a pas d’homme qui n’ait pas son heure et il n’y a pas de chose qui ne trouve sa place

Traité des Pères (4.3)

Auparavant les marins ne passaient pas volontiers par-dessus bord car d’une part, beaucoup ne savaient pas nager et d’autre part ils avaient véritablement peur des « monstres marins ». L’analyse de la provenance de cette peur renvoie à une recherche plus ancienne car autrefois, voyager était une entreprise difficile et souvent périlleuse.

En Europe, les habitants passaient généralement toute leur vie au même endroit et en dehors des missionnaires, des soldats et des marchands, peu de personnes s’aventuraient sur les routes et encore moins sur les mers.

Bien que plusieurs civilisations eussent connu de longs périples : les Grecs, les Carthaginois et surtout les Vikings, un voyage en mer restait risqué et les connaissances qu’on avait des océans devaient autant à l’imagination qu’à la réalité, reposant sur un mélange de récits rapportés, de fables et de voyages plus ou moins vrais.

Créatures, monstres et sirènes

Étymologiquement, le terme monstre conserve l’empreinte du mot latin monstrare qui signifie « montrer » et fait écho à un autre mot latin monre qui signifie avertir.

C’est pour cela qu’on a longtemps vu en eux des créatures révélatrices. Les monstres symbolisent la mort puis naturellement la notion de bravoure, aussi bien dans les mythes babyloniens ou bibliques ou encore dans la mythologie grecque.

Dans l’œuvre d’Apollodore, la Première guerre de Troie, Hésione fut offerte en sacrifice pour apaiser un monstre marin envoyé par Poséidon pour ravager Troie. Hercule tua le monstre et délivra Hésione.

Les exemples littéraires sont nombreux, le personnage de Sinbad le marin, pauvre pêcheur originaire de Bassorah, raconte ses 7 voyages au cours desquels il a rencontré de multiples monstres et a frôlé la mort à plusieurs reprises.

Les aventures de Sinbad le Marin s’inscrivent au sein du recueil Les Mille et Une Nuits, le plus célèbre et le plus universel de la littérature du Moyen-Orient, qui narre les nuits où la jeune Shéhérazade, fille de vizir, invente une multitude de contes pour distraire son mari et échapper à la mort.

Les sirènes figurent parmi les créatures marines les plus populaires et les plus anciennes, Homère est le premier à évoquer les sirènes dans « L’ODYSSÉE » mais sans les décrire réellement et on apprend qu’il s’agit de femmes avec une attitude de démons qui possèdent des ailes et séduisent par leur chant. Ulysse lui-même, héros de la mythologie grecque reconnu pour son intelligence, va se lier au mât de son navire pour ne pas céder aux chants des sirènes.

Souvent associées à la mort et plutôt malveillantes, les sirènes ont alors une connotation assez négative.

Ce n’est qu’au VIIème siècle dans l’ouvrage du moine anglais Aldhelm de Malmesbury : le LIBER MONSTRORUM, véritable catalogue de toutes les monstruosités légendaires, qu’on y trouve la première mention de femmes-poissons et non plus de femmes-oiseaux.

L’auteur ayant très probablement été influencé par les légendes celtes et germaines, populaires en son temps, elles sont décrites comme de très belles jeunes filles dotées d’une queue de poisson couverte d’écailles.

Puis au Moyen-Age, l’Eglise s’empare du mythe et elles sont apparentées à des beautés fatales incarnant la luxure qu’il faut fuir comme les autres péchés capitaux. L’absence de réelles expéditions scientifiques à l’époque, laisse penser qu’elles existent véritablement et à partir du XIIème siècle, apparaissent les premières représentations sur lesquelles elles brandissent une queue de poisson dans chaque main.

Puis, suite aux premières grandes expéditions marines des portugais, espagnols, français et anglais, les mythes disparaissent peu à peu et les écrivains ont tendance à rédiger des ouvrages plus sérieux car sont influencés par des descriptions plus précises des marins et des explications des scientifiques souvent embarqués à bord.

Ainsi, Thomas Browne, écrivain et scientifique anglais du XVIIème siècle, avait composé une encyclopédie des idées reçues de son époque, PSEUDODOXIA EPIDEMICA, un dictionnaire dans lequel il confronte les opinions des philosophes, de l’Eglise et des scientifiques et évoque les monstres marins populaires à son époque dont beaucoup ressemblent aux baleines, aux requins ou aux crabes.

Au XVIIIème, les auteurs romantiques relancent les légendes mais il ne s’agit plus d’informer mais bien de distraire. Le dramaturge danois Christian Andersen contribuera ainsi à populariser le mythe des sirènes avec son œuvre La petite sirène en 1837 et de manière plus globale, la littérature du XIXème siècle s’inspire des anciens récits pour la science-fiction.

C’est notamment le cas pour Herman Melville qui rédige en 1851 son roman d’aventures autour d’une dangereuse baleine Moby Dick, pour Herbert Georges Wells, dans son roman publié en 1895 La machine à explorer le temps où le passager de la machine est attaqué par des crabes géants.

Enfin pour Jules Verne dans son livre Vingt mille lieues sous les mers en 1870, dans lequel les créatures océaniques -bien que fantaisistes- sont plus proches de la réalité, notamment le calamar géant puisqu’à cette époque les poulpes géants étaient connus des biologistes et des navigateurs et aussi du grand public mais sans certaines précisions importantes car si le calamar géant architeuthis est un prédateur pouvant atteindre les 20 mètres et capable de vivre entre 600 et 1000 mètres de profondeur et ses tentacules peuvent broyer une petite barque mais s’il apparaît à la surface de l’eau, c’est en raison de son état mourant donc dans l’incapacité totale de s’attaquer à un homme ou une embarcation. A l’inverse, le calamar dit dosidicus surnommé « le diable des profondeurs » évolue davantage en surface et peut s’en prendre à l’homme mais ne dépasse pas 2 mètres de long. 

Le rôle des cartographes

Toutes ces légendes illustrent la persistance de l’image du monde océanique qui s’est développée sous l’influence des premiers cartographes, eux-mêmes influencés par les récits (imaginaires ou réels) de religieux et d’explorateurs.

Les cartographes du Moyen-Age et du début de l’époque moderne évoquaient les affabulations des témoins oculaires, les mêmes qui de nos jours affirment avoir vu l’introuvable monstre du Loch Ness, mais aussi des voyageurs, des marins, des pèlerins et des charlatans.

De plus, les cartographes prétendaient offrir des informations et des relevés topographiques précis sur les terres émergées, tout en peuplant les mers d’êtres fabuleux, terribles et coriaces. Ces chimères gigantesques étaient censées mettre en garde contre les dangers d’un milieu encore mal connu.

La plupart de ces créatures étaient nées dans les esprits de cartographes et d’écrivains qui rêvaient plutôt qu’ils ne voyageaient

Chet Van Duzer, l’historien américain spécialiste de la cartographie, révèle dans son ouvrage Sea Monsters on medieval and rennaissance map que les cartes marines représentaient souvent un monstre marin autrefois appelé l’aspidochélon qui ressemblait à un gros poisson dont il fallait se méfier car il pouvait précipiter les marins en enfer.

Les artistes qui assistaient les cartographes représentaient les traits monstrueux avec une créativité stupéfiante, déployant un large éventail de défenses, de nageoires, d’épines et autres membres. L’ensemble formait un catalogue de créatures très variées. L’absence d’une science consacrée spécifiquement aux animaux, la zoologie, entraînait des légendes sur les véritables animaux en mer, Les sirènes décrites par les marins étaient probablement des animaux marins transformés par leur imagination.

C’est ainsi qu’est né un langage associant souvent les noms d’animaux connus sur terre à ceux découverts plus tard dans les mers : éléphants de mer ou léopard de mer pour évoquer les phoques, lion de mer pour désigner les otaries ou encore chien de mer pour qualifier un requin.

Ce parallélisme entre le catalogue des animaux terrestres et marins provenait d’une méconnaissance plus générale du milieu océanique et de l’idée humaine d’une centralité de la vie sur terre.

Les marins utilisaient donc dans un premier temps, des cartes marines qui fourmillaient de créatures fantastiques et la fascination qu’elles exerçaient, provenaient d’un imaginaire qui associe la mer aux dangers mortels et qu’on retrouve dans les écrits les plus anciens.

L’écrivain anglais du XIIIème siècle, Gervais de Tilbury avait par exemple compilé l’ensemble des connaissances du Moyen-Age dans une vaste encyclopédie « DESCRIPTIO TOTIUS ORBIS » avec une interprétation souvent très personnelle des créatures marines. La diffusion de ses écrits avait donc un impact sur l’image de la mer et sur sa dangerosité.

Autre exemple, Olaus Magnus, archevêque suédois du XVème siècle, auteur de la « CARTA MARINA » avait truffé ses illustrations de monstres mythiques et polymorphes nageant dans les mers nordiques : illustration surprenante pour une personne dont les ancêtres vikings étaient de redoutables marins et dont le pragmatisme avait balayé les peurs infondées mais il s’agissait sans doute pour Olaus Magnus de faire figurer des allégories de dangers physiques afin de diffuser une crainte et donc un besoin de protection divine.

Références

LES EXPLORATEURS – LES HÉROS DU PASSE » – éditions PML
Etude publiée dans « JOURNAL OF ZOOLOGY » – 2016
Extrait de « DIABLES DES PROFONDEURS » – National Geographic – 2003
BOOKS – Juillet-Août 2016

Avec l’aimable contribution de Simon COYAC, Sauveteur en mer

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